Gray Shuko est un ancien du forum CFSL. Il revient avec nous sur sa carrière, à l’occasion du lancement de sa première campagne Kickstarter pour son projet Fruity Frags, une BD avec des fruits qui se foutent sur la gueule, en gros. Si vous avez déjà entendu parler de Gray Shuko, vous savez que la qualité de son dessin est complètement incroyable, et sinon, on vous invite à le découvrir ! Il a également contribué aux éditions CFSL Ink à plusieurs reprises, il a travaillé chez Ankama et dernièrement sur les comics Overwatch de Blizzard Entertainment. Accrochez-vous à vos yeux !
Comment êtes-vous devenu illustrateur ?
J’ai toujours aimé dessiner, je faisais pas mal de croquis divers et de petites BD étant jeune, je voulais en faire mon métier donc ça tombe plutôt bien :D
Pour en arriver là, quel a été votre parcours ?
Je dessinais pendant mes temps libres (et un peu pendant les cours), ensuite je suis allé dans un lycée proposant une option arts plastiques pour 1 ou 2 heures par semaine, ensuite j’ai eu un BAC S et pu rentrer dans une école d’art privée (Emile Cohl à Lyon) où je suis resté 4 ans jusqu’au diplôme. L’enseignement y était plutôt intéressant au début, très académique, ensuite on fait ce qu’on fait depuis le début: progresser en s’inspirant des autres.
Quelles sont vos inspirations ?
A l’époque elles étaient principalement japonaises et américaines: les animés, les comics, et les jeux vidéos, j’adorais Dragon Ball Z, Olive et Tom, les X-Men, j’achetais pas mal de comics dans les bureaux de tabac.
Un peu plus tard je suis devenu aussi très fan de Metal Gear Solid, notamment de Gray Fox qui est mon personnage fictif préféré.
Aujourd’hui, avec la culture geek, Internet et tous les artistes qui eux-mêmes se sont inspirés des mêmes chose que moi, il y a énormément de choses à apprécier, venant de pays plus variés.
Avez vous un mentor ?
Pas vraiment, je dirais plutôt des inspirations maîtresses, ce serait Akira Toriyama (Dragon Ball), Yoji Shinkawa (MGS, ZOE) et Joe Madureira.
Quels sont vos outils au quotidien ?
Je dessine toujours sur papier, avec un crayon à papier. J’avais l’habitude de redétailler avec un porte-mines mais maintenant ça passe directement au scanner pour continuer avec les couleurs sur PC.
Vous pouvez me parler un peu de votre processus créatif ?
Oui, j’aime bien découper les choses par étape. Pour une illustration ou une page de BD, je vais commencer par la dessiner en tout petit, pour mettre en place tous les éléments et ne pas pouvoir aller plus loin dans le détail. Ensuite je dessine au format final, qui ne dépasse jamais A4 sinon je commence à faire de belles fautes de proportions, ensuite je scanne et je corrige quelque peu le crayonné sur PC avant de commencer les couleurs, qui sont composées de 3 groupes principaux: les couleurs de base (qui me permettent aussi de sélectionner les éléments que je veux travailler), la lumière soustractive (le shading) et la lumière additive (les reflets et FX). J’aime bien séparer clairement ces groupes pour 2 raisons:
-simuler grossièrement la réalité lumineuse et pouvoir faire varier sans limite des éclairages sur des couleurs de base invariables (ce qui est pratique notamment en BD)
-pouvoir chercher et trouver, en modifiant les couleurs et intensités des lumières, les couleurs du résultat final qui me plaisent le plus, sans pour autant que je connaisse précisément ces couleurs (à l’inverse d’un peintre traditionnel qui sait exactement quelle couleur il applique).
Vos domaines de travail sont extrêmement variés. Où puisez-vous l’inspiration nécessaire à la réalisation de tous ces projets ?
L’inspiration vient de la consommation, je dirais, je joue à des jeux, regarde des films, des séries, je lis quelques BD, j’écoute de la musique, je pense que c’est la base, après c’est une question de goût, si j’aimais que les mangas, je pense que je ferais que ça. Après il y a l’envie de faire son propre truc, d’apporter quelque chose de différent en plus de la base commune, c’est sans doute lié à une certaine insatisfaction aussi.
Y a-t-il un domaine auquel vous avez un attachement particulier ?
Oui c’est la BD, c’était mon objectif depuis très jeune. Les jeux vidéos, je ne m’imaginais pas vraiment travailler pour jusqu’à ce que j’arrive en école d’art, ça me semblait plus inaccessible.
Maintenant je jongle un peu entre les deux, mais c’est plus facile de trouver des contrats dans le jeu vidéo.
Ce que j’aime dans la BD, c’est pouvoir rapidement s’immerger dans le monde qu’on a crée, il suffit de quelques pages, dans le jeu vidéo il faut être beaucoup plus patient et se contenter d’affecter que quelques aspects de l’oeuvre, mais c’est aussi l’occasion d’aller plus loin que les illustrations et les lier à des idées de gameplay ou de game design un peu fun et originales.
Je suis aussi en train de concevoir un jeu de combat tactique avec des figurines en papier, ça va être encore dur à concrétiser/rentabiliser mais c’est aussi un bon exercice :)
Récemment vous sortiez du comics pour Overwatch, comment ça marche?
Je travaillais sur le projet précédant Overwatch (Titan) en tant que concept artist, et pour le lancement du jeu Blizzard m’a recontacté pour cette fois illustrer des petits comics relatifs à ses personnages. Le scénariste du comic en question me prépare le découpage dans un fichier texte (déscription écrite des cases et contenu des bulles), moi je fais quelques concepts avant d’attaquer le story-board en tout petit sur une page, d’esquisser chaque page, et je passe ensuite à la couleur sur une plus longue période.
Pour le comic de Junk Rat, il y avait une étape supplémentaire de line-art que j’ai supprimé pour les comics suivants pour des raisons de temps et de test.
Est-ce un de ces projets ou on prend plus de plaisir que d’autres ?
J’aime bien les faire en effet, car j’adore l’Univers et le style du jeu, des designs jusqu’au rendu in-game, qui a beaucoup progressé depuis Titan, donc j’aime bien ce challenge de devoir m’en rapprocher au plus.
J’aime bien aussi le fait que, depuis le deuxième comic, ils me demandent souvent des feedbacks quant à la position des bulles, la traduction française et la version “animée” préparée par Madefire qui redécoupe les plans pour donner du relief et qui intègre du son, donc il y a pas mal d’échanges quant à la qualité du résultat final.
Est-ce que ça vous a donné un coup de pouce en matière de visibilité?
Peut-être un peu, c’est pas évident, en tous cas j’étais content de pouvoir étoffer un peu la partie Comics de mon portfolio avec ça :]
Vous êtes actuellement en pleine campagne pour un projet Kickstarter; on peut en savoir plus?
Eh oui, voici le lien:La Campagne Kickstarter Fruity Frags
Achète! Achète!
Je suis toujours plus ou moins en train de faire une BD perso à côté de mes contrats et l’actuelle s’appelle Fruity Frags, chaque tome ferait 80 pages, avec 54 pages de BD, 10 illustrations de guest artists (on a une belle brochette pour ce premier tome) sur le thème des fruits soldats, et une rubrique “documents secrets” qui regroupe des jeux, des énigmes et des infos relatifs à l’Univers de la BD.
L’histoire se passe dans un Monde dominé par les fruits et se focalise plus particulièrement dans le domaine militaire, notamment un groupe de mercenaires qui monte des opérations pour éliminer les pires officiers militaires de la planète. L’intro du tome 1 montre leur première mission échouée puisque leur cible va non seulement leur échapper mais aussi se faire passer pour morte, ce qui va lui donner l’avantage dans sa riposte.
D’où le projet est-il né ?
J’ai vu dans la rue une enseigne de magasin de jus de fruits ou autre, avec un kiwi qui souriait, je me suis dit que ça serait marrant que ce soit un soldat et qu’ils se fassent la guerre entre fruits, ça ferait un truc en même temps violent et appétissant. J’aime bien faire des trucs colorés en général (et les fruits) donc ça tombait bien.
Je pensais faire juste 5 ou 10 pages au début, et c’était uniquement humoristique, quelques scènes inspirées de films de guerre mais avec des fruits à la place.
Ensuite j’ai mais ça un peu en pause pendant que je travaillais à plein temps et m’y suis remis plus tard en redevenant freelance, mais cette fois je me suis dit que je pouvais développer l’histoire beaucoup plus, tout en gardant cet aspect comique qui serait toujours là tant que les fruits se prendraient au sérieux. J’ai donc développé l’équipe en rajoutant 3 mercenaires, développé le passé du kiwi leader et préparé les événements du premier tome en voyant à peu près ou ça irait sur long terme.
Aviez vous déjà fait de la BD en solo?
Oui j’en ai surtout fait en solo, sauf quand j’ai commencé à travailler, je mettais en couleurs des pages pour des BD promotionelles.
Le médium est-il exclusivement numérique ?
Ah non au contraire, Fruity Frags sortirait prioritairement en papier et ensuite gratuitement sur le net avec un tome de retard. Il y a plusieurs raisons:
-l’imprimeur propose pas mal d’options de papier et de vernis ce qui fait que je pourrais obtenir un résultat se mariant bien avec le style un peu peinture de la BD.
-la rubrique “documents secrets”, que je n’ai pas encore faite, pourrait demander quelques manipulations physiques du papier afin de délivrer certaines enigmes.
-la BD est accompagnée de papertoys pour ceux qui souhaitent les commander, donc leur production se ferait en parallèle de celle de la BD.
De plus en plus d’illustrateurs se tournent vers l’option du crowdfunding aujourd’hui, était-ce une évidence pour vous ?
C’était pas complètement une évidence, mais j’avais assez envie d’essayer en effet.
Avec mes précédents projets, il n’y a jamais eu de concret en passant par la traditionnelle soumission aux éditeurs, donc je me suis dit pourquoi pas.
La liberté que le crowdfunding offre au créateur est aussi globalement assez attrayante. Même si le côté communication du projet est assez dur à maîtriser (notamment dans mon cas), le contrôle du produit final, du contenu jusqu’à sa forme physique, et le développement des sous-projets (produits dérivés, trailers, musiques) sont très appréciables.
Que pensez vous du marché actuel ?
Je ne vis pas en France actuellement donc j’ai un peu de mal à juger, mais j’ai pas entendu que la situation des auteurs de BD s’arrangeait…
A quel point vous sentez vous influencé par les tendances actuelles (dans l’illustration) ?
Il y a les inspirations maîtresses dont je parlais plus haut, que j’apprécie toujours autant depuis 15 ans, et puis il y en a plein de nouvelles, boostées par le développement de l’illustration par l’informatique, qui a d’après moi fait pas mal progresser le niveau de cet art notamment chez les djeun’s (qui maîtrisent bien l’outil), donc personnellement j’essaie de me mettre à jour dès que je vois un rendu ou un type de design qui me plaît, je copie pas vraiment mais j’essaie d’intégrer ce que vois d’intéressant, avec plus ou moins de succès ou de possibilité. Il y a qu’à voir les artistes qui participent à la campagne Fruity Frags, je suis fan de tous^^
Ca ne m’empêche pas aussi d’apprécier des trucs plus traditionnels, j’aime bien l’aquarelle (à regarder, pas à faire) et les techniques rapides, je regarde régulièrement ce que fait Chien Chung Wei (aquarelliste principalement), si vous connaissez pas, ça vaut le coup d’oeil.
D’après vous, les limites de la créativité sont-elles purement techniques ?
Je vais demander l’avis du public pour celle-ci, Jean-Pierre.
Je dirais que non, seulement en partie, ça rejoint un peu ce que je disais sur la question précédente, pour la partie technique, l’informatique est vraiment en train de casser des murs, ça crée pas automatiquement de belles oeuvres mais ça fait progresser beaucoup plus vite que les techniques traditionnelles.
A côté de ça il y a d’autres limites, en France les métiers artistiques sont plutôt bien développés, dans d’autres pays c’est pas forcément envisageable. On peut aussi ne pas avoir d’idée tout simplement.
Quels projets vous ont laissé les meilleurs souvenirs ?
Je sais pas trop, je dirais peut-être Exalight, c’était un MMO de course de pods, qui était pas incroyable au final, mais avec le recul, le développement dans l’ensemble était plutôt sympa, avec des plannings assez précis mais une liberté artistique assez large. Le développement d’Of Orcs and Men était sympa aussi, même si la direction artistique n’était pas très claire, le studio était plutôt humble et consciencieux.
Avez-vous des conseils à donner aux jeunes illustrateurs ?
Just.. do it! Make.. your dreams.. come true!!
D’un point de vue technique, je dirais: toujours se forcer à garder du recul sur son image et commencer à détailler vraiment que quand c’est bon, c’est un peu basique mais personnellement j’ai toujours tendance à “glisser“ vers le détail sans m’en rendre compte, en passant sur les visages par exemple, donc je suis peut-être pas le seul.
Un autre conseil: il faut être son premier client et donc faire ce qui nous plaît plutôt que ce qu’on pense va plaire parce que ça, ça ne plaira à personne.
Un autre petit pour la route: c’est pas mal de travailler sur plusieurs choses en même temps, je le faisais pas trop avant, j’aimais bien insister sur un truc jusqu’à ce que ce soit fini mais un artiste à Blizzard m’a montré qu’il bossait toujours sur plusieurs illustrations en même temps et passait de l’une à l’autre pour constamment garder du recul sur chacune, je pense que c’est assez efficace.
Retrouvez le kickstarter Fruity Frags ici !