par Kim » 11 Déc 2013, 00:47
Donc, cet aprés midi, j'ai téléphoné au lycée de mon stagiaire. Je leur ai signalé ses absences ainsi que mon intention d'arrêter le stage. Quand je suis arrivé à la pizzeria, il m'attendait devant. Il n'était au courant de rien mais la veille, n'avait pas pu venir car il était malade au point de ne pas pouvoir se lever, tu vois ? Je l'ai écouté puis lui ai annoncé que j'avais décidé d'arrêter le stage. Là dessus, arrive sa directrice de stage et je continue mes explications sur ce qui a motivé ma décision. Il n'est pas venu la veille. Pas d'appel, personne qui vient sur place (alors qu'il habite à trente mètres du magasin). Il me dit qu'en même temps, il ne lui reste que trois jours avant la fin du stage. Mais je reste ferme. Le monde de l'entreprise, ce n'est pas comme l'école. Au lycée, on peut sécher. Les profs gueulent un peu mais ce n'est jamais grave. Sur un boulot, on manque deux jours presque de suite sans aucune justification (ne serait-ce que médicale signifiant que l'on n'est pas apte à travailler), c'est au revoir. Même avec des patrons cools qui déconnent avec lui. Je sais que le lycée va serrer encore plus la vis en ce qui le concerne mais quelque part, c'est pour son bien. Le travail passe avant les loisirs. Sa directrice comprend mes raisons et lui signifie que jeudi à 9H00, il doit être en cours. "Doit" car venant de changer de classe et ayant un stage écourté, le tout en moins d'un mois, il doit venir. Avant de partir, elle me remet un papier à remplir sur le stage.
En début de soirée, un client m'appelle. Il vient me prendre des pizzas et me régler ce qu'il me doit. 12 € exactement. Qu'il me doit depuis quatre mois. J'ai déjà évoqué ce client, arbitre de foot le week-end. Pour vous donner un exemple de sa façon d'arbitrer, c'est un type qui siffle un hors jeu alors que le joueur est trés trés loin de l'être et qui plus tard demande à un spectateur s'il y avait hors jeu car il n'est pas trés sûr des règles. Bref, un arbitre de niveau international. Il vient avec sa copine et s'excuse platement. Depuis quatre mois, ils ont eu des problèmes, sa copine ne pouvait plus marcher, ils devaient habiter chez sa soeur du coup car il fallait quelqu'un pour les surveiller etc ... Bref tous les malheurs du monde auxquels commercialement, je compatis. Et durant toutes ces difficultés, sa seule pensée était pour ces 12€ qu'il me devait mais qu'il n'avait pas le temps de venir me régler tellement il était accaparé. Je lui explique que pour moi, l'argent n'est rien au fond et que la seule chose qui m 'inquiétait était de ne pas avoir de nouvelles et que du coup, j'avais craint le pire. Je ne lui dis pas qu'un de ses potes m'avait dit qu'il allait chez un autre pizzaïolo, qu'il faisait des détours pour éviter de venir me voir, que j'avais rappelé à son pote le souvenir des 12€, que le client qui le regardait arbitrer ses matchs et son nouveau "pizzaïolo" devait aussi lui en toucher deux mots. Soit pour faire vite qu'un certain nombre de personnes autour de lui étaient au courant. Il me donne des nouvelles. Il va passer un IRM car il a mal à la tête. Je pleure presque sous le coup de l'émotion. Il me paie sa commande et sa dette obsédante de 12€ (ou plus exactement sa copine me paie tout). Nous nous quittons meilleurs amis au monde.
Pour finir, un pilier. Il arrive à 21H 30. Il ne vient pas pour une pizza mais pour prendre une bouteille et sa seconde question est "Jusqu'à quand je peux rester ?" Il s'assied sur un tabouret prés du bar et explique que l'alcool pour lui, c'est fini. Il a bu, il a eu 4 accidents, cela lui a suffi. Au fait, vous pouvez ouvrir ma bouteille ? Vous pouvez me donner un verre ? Et puis, je vous paie un coup parce que je ne suis pas vachard. Non, l'alcool, c'est fini. Avec ses accidents, il a dû racker pour des voitures qu'il avait détruit saoul. Alors vous pensez bien que même s'il marche maintenant, plus une goutte. Au fait, le rosé n'est pas trop fruité, vous ne trouvez pas ? Mais bon, c'est peut-être parce qu'il a le goût faussé après les douze bières qu'il a bu auparavant chez sa belle famille. Six pour chaque jambe, ajoute t-il avec un clin d' œil. Oui, la bière, ça dénature le vin, c'est bien connu. Son beau- père, c'était un type exemplaire, un gars qui bossait 18 heures par jour comme boulanger, la clope au bec mais sans jamais avoir mis une seule cendre dans son pain, monsieur. Un grand homme, travailleur comme lui qui est couvreur et qui dés demain, huit heures, sera sur les toits. Impeccable car il ne boit pas au boulot. D'ailleurs, l'alcool pour lui, c'est fini. Vous êtes sûr que vous ne voulez pas en reprendre ? Ah d'accord, vous conduisez après. Bon, il se ressert car lui, il est à pied. Un appel de client. Une commande. Vous n'en revoulez pas ? Si vous voulez, il peut retarder l'heure. Encore avec un clin d’œil complice. Les gens commandent tard ce soir. A part ça, les affaires marchent en ce moment ? Le client vient chercher sa pizza. Vous savez, elles sont bonnes ici. Je ne les ai pas gouté mais elles sont bonnes. Il fait froid en ce moment. C'est terrible. Avant chez lui, quand il était petit, il faisait froid aussi. Un verre de plus. Ici aussi, il fait froid, il n'aurait pas cru avec les fours à pizzas. Je lui explique qu'ils ont bien isolé et je lui suggère de partir car je vais commencer à laver mon sol. Il comprend. De toutes façons, il faut qu'il parte, sa femme l'attend. Mais il ne faut pas qu'elle voit la bouteille. Elle pourrait croire qu'il s'est remis à boire. Alors il vide la bouteille et remplit son dernier verre presque à ras bord. Il me tend la bouteille vide. Pour la poubelle. Ça en fait du vin à boire d'un coup. Il n'a plus trop l'habitude depuis qu'il a arrêter de boire. Je le pousse délicatement vers la porte en vidant mon seau par terre. Il faut qu'il y aille s'il ne veut pas que je lui mouille les chaussures. Ah oui, ce serait dommage. Il me fait la bise avant de partir. Il sort, tente trois fois de rentrer mais je lui montre à chaque fois le sol que je viens de mouiller. Puis s'en va. Enfin. Je sors mes poubelles, je le vois accroupi prés du passage pour piéton à refaire son lacet. Je termine mes sols dix minutes plus tard, je ferme mon commerce. Il est toujours accroupi à refaire son lacet. Cinq minutes aprés, il se relève finalement. Heureusement qu'il ne boit plus car autrement, combien de temps aurait-il mis pour le faire ?
Kim